Par Mariâme Damba / Illustration : Jade Edeb

Pour la France Hexagonale et les Antilles Françaises, le mois de Mai est le mois de la commémoration de l’abolition de la traite négrière transatlantique.

Le 10 Mai 2001, le parlement adopte la loi Taubira. Cette loi, qui reconnait la traite négrière transatlantique et l’esclavage comme étant un crime contre l’Humanité, est promulguée le 21 Mai 2001. Il s’agit d’un texte sans précédent. Dans son article 1, il y est écrit : « La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan indien d’une part et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du 15è siècle aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité. » Un grand pas venait d’être franchi.

Nous ne remercierons jamais assez Madame Taubira et ses collaborateurs de l’époque pour avoir mené à bien ce titanesque combat. En 2006, le gouvernement retient la date du 10 mai comme date commémorative de la mémoire de l’esclavage. Pour un tas de raisons que je ne développerai pas ici, cette date n’a pas fait l’unanimité dans les Antilles Françaises. En Martinique, on célèbre l’abolition de l’esclavage le 22 Mai. En Guadeloupe, c’est le 23 Mai. Aujourd’hui, en Mai 2020, 19 ans plus tard, on peut se demander ce que cette loi a changé. Que ce soit la Martinique avec son génocide par substitution, la persécution des cultes afro-brésiliens au Brésil, la
multiplication des arrestations abusives et arbitraires des afro-américains, rien ne semble être parvenu à modifier le quotidien de millions d’afro-descendants. Le constat semble implacable et sans détour :c’est encore et toujours la même chose.

Reconnaissance, réparation et guérison

Dans le cas des Antilles Françaises, pas de réparation, pas d’indemnisation. En parallèle, rappelons qu’au moment de l’abolition de l’esclavage, le gouvernement de l’époque indemnisa les propriétaires d’esclaves pour la perte que cela représentait pour eux…

La question est donc ouverte : A qui allons-nous demander réparation ? Si nous n’obtenons pas de réparation pécuniaire, comment allons-nous pouvoir nous réparer ? Quatre siècles, d’un long et méthodique processus de déshumanisation, c’est cruellement, dramatiquement et excessivement long. En avril 2018, parait l’ouvrage intitulé « L’esclavage : quel impact sur la psychologie des populations ? ». Pour les auteurs, il s’agit de démontrer et d’expliquer comment le cortège de souffrances, d’atrocités et d’ignominies a laissé d’innombrables traces dans la psychologie des afro-descendants, mais aussi dans celle des descendants de propriétaires d’esclaves…

Pourtant, même sans indemnisation, je soutiens l’idée selon laquelle cette loi a déjà changé beaucoup de choses. D’une part, le monde entier sait maintenant que la traite transatlantique a été, et, est un crime contre l’Humanité. Pas uniquement contre le peuple Noir mais aussi contre l’Humanité entière. C’est dire qu’en tant qu’êtres humains, nous sommes tous invités à regarder en face cette part de l’histoire, et à nous interroger sur nos responsabilités passées, présentes et à venir…

D’autre part, cette loi peut être perçue comme un formidable tremplin pour entamer un processus collectif de réparation et de guérison.

En effet, en tant que thérapeute, j’ai pu expérimenter et observer que le processus de guérison et de réparation passe, invariablement, par une acceptation et une reconnaissance de ce qui a été. Une acceptation totale et inconditionnelle. Une reconnaissance délivrée de toute culpabilité, de toute honte, de toute haine. Pour tous les afro-descendants, le processus promet d’être long et éprouvant.
Reconnaître que nous sommes les descendants d’un peuple qui fut jeté hors de l’Humanité est extrêmement difficile et douloureux. Pour cela, il nous faut replonger dans les ténèbres, en allant chercher dans nos mémoires. Nous devons lutter pour transformer la rage, l’effroi, la terreur, la honte, la haine et bien d’autres choses encore en énergie de vie. Nous allons devoir apprendre à faire preuve
d’une infinie patience et d’une extrême bienveillance envers nous-même.

Aujourd’hui, pour un nombre grandissant d’afro-descendants, l’opportunité nous est donnée de nous penser et de nous vivre en êtres humains libres, à savoir ayant des pouvoirs d’action sur nos existences. Aussi pourrions-nous employer cette liberté à œuvrer ensemble à l’émergence d’une nouvelle forme d’éducation.

Pour une éducation à l’amour

« L’éducation est l’arme la plus puissante que l’on puisse utiliser pour changer le monde. » Nelson Rolihlahla Mandela.

Nous avons besoin d’une éducation à l’Amour, à la Bienveillance, à la Patience, à la Tolérance, à l’Estime et au Respect de nous-même. Une éducation réparatrice qui va nous rétablir dans notre Dignité et notre Humanité. Pas de simples mots revendicateurs. Il s’agit d’adopter une prise de position sans équivoque qui doit se traduire dans les différents aspects de notre vie quotidienne. Un
changement radical de nos attitudes au quotidien.

Il nous faut tendre l’oreille, un tant soit peu, pour s’apercevoir que l’Homme Noir, avec un focus particulier sur l’afrodescendant, ne s’aime pas. Il n’a ni amour, ni estime pour lui-même, ni pour ceux qu’il considère identiques à lui. J’ai beaucoup voyagé. Or, combien de fois ais-je entendu dans les Caraibes, en Afrique, au Brésil, ou encore en France, une personne noire soutenir que le noir est
fainéant : « Nous autres, les noirs, ne pensons qu’à nous amuser. Nous sommes incapables de nous organiser. » Et d’ajouter « Je préfère avoir à faire avec un Blanc, parce que le Blanc, lui, il sait s’organiser. Il travaille bien. Il est honnête. »

Dès lors, on peut s’interroger sur la part de réalité objective que recèlent de tels propos. Pour ma part, je ne peux que m’interroger sur ce qui se passe quand une personne noire continue, de manière consciente ou inconsciente, à nourrir un tel jugement dépréciatif sur sa personne.

Il nous faut être vigilant à ce que nous disons, à ce que nous pensons de nous-même, à ce que nous renvoyons de nous-même. Soyons attentifs à ce sentiment d’infériorité et d’autodénigrement qui, de temps à autre, pointe son nez.

« Le noir est mauvais » dit ce vieux monsieur noir.

« Parce que nous les noirs, nous ne sommes pas assez intelligents pour avoir créé ce type de choses » affirme ce jeune homme noir.

Soyons attentifs à ce que nous disons à nos enfants : « Tu te prends pour une blanche à passer tout ce temps à lire, ça ne va rien te rapporter » dit cette mère antillaise à sa fille inscrite à l’université.

On ne transmet que ce que l’on a…Sommes-nous réellement prêts à transmettre l’auto dénigrement, le complexe d’infériorité, la honte, la haine de soi, cet héritage de quatre siècles d’esclavage ???

Pour avancer, nous avons besoin d’une communauté consciente de la nécessité de faire émerger ses ressources, ses potentialités, ses richesses par le biais d’une nouvelle forme d’éducation.

Apprenons à nous aimer véritablement. Il est grand temps. Nous ne pourrons jamais rien léguer de plus précieux à nos enfants et aux futures générations.

Mariâme Damba est pédagogue, térapeute,
professeure de danse et professeure de
Capoeira à L’École de Capoeira Angola Paris.