Par Mariâme Damba

« Une vision qui ne s’accompagne pas d’actions n’est qu’un rêve.
Une action qui ne découle pas d’une vision, c’est du temps perdu.
Une vision suivie d’une action peut changer le monde » – Nelson Mandela

A l’approche de la commémoration de la date d’abolition de la traite négrière et de l’esclavage en France, je me lance et me fais l’avocat du diable et de moi-même par la même occasion. J’ai longtemps observé la ruche. Je me décide à tenter d’y déloger les abeilles, au risque de me faire sauvagement piquer… Tant que je ne décède pas de ces piqûres, ça devrait aller !!!

Sérieusement les gars, pendant encore combien de temps, allez-vous chanter la complainte des pauvres descendants d’esclaves, dont les Ancêtres ont souffert des agissements des méchants blancs esclavagistes ??? Pardon, je rectifie : pas les pauvres descendants d’esclaves mais les pauvres descendants de ceux qui ont été réduit à la situation d’esclaves…

Mai 2020. Martinique : « Ils(les blancs) nous ont fait ça, ils nous ont fait ci… » . « Pendant près de 400 ans, ils nous ont exploité, nous ont réduits en esclavage et ils continuent » Et j’en passe… Le « Nous » relève un peu de l’anachronisme mais ce n’est pas grave…Pour le coup, voici deux affirmations qu’il serait difficile de contredire, sans être de mauvaise foi.

Bon, une fois, que l’on a dit cela, on dit quoi ? Et surtout, on fait quoi ??? Concrètement ???

Eh bien, on attend. On recommence la rengaine. On réactualise la complainte et on repart pour un tour. Et là, j’observe que j’appartiens à une communauté exemplaire par sa capacité à attendre, attendre et encore attendre.  Aussi, je vais continuer les tentatives pour déloger les abeilles et faire une proposition. Ce n’est qu’une proposition parmi d’autres…

Peut-être, qu’en lieu et place de la complainte, pourriez-vous œuvrer à la naissance d’une prophétie : celle du jour de la Grande Reconnaissance. Ce jour, où, tous les descendants de ceux qui furent les bourreaux de nos Ancêtres, d’une même et seule voix, transcendés par une divine révélation, nous demanderont pardon. Alors, Nous, afrodescendants de tous les coins de la planète, serons transfigurés. L’instant d’après, le monde aura changé et plus rien ne sera pareil. Par le simple fait de leur pardon et de leur reconnaissance, nous aurons regagné notre Humanité. N’est-il pas écrit dans la Bible que Dieu a dit «  Que la lumière soit et la Lumière fut ». Cette fois encore, ce Dieu, tout puissant, nous apparaît blanc comme neige…

Entre la complainte (la victime) et les Black Panthers de Marvel (la surpuissance du Noir), apparaît le Kémite qui nous rappelle le glorieux passé de nos Ancêtres. Il nous rappelle que notre histoire n’a pas débuté pas au moment où nos Ancêtres sont arrachés à leur Continent. Nous sommes issus d’une grande et glorieuse histoire. Cela fait chaud au cœur de savoir que la théorie de Darwin sur l’infériorité des noirs était le fruit d’esprits délirants, eux-même aliénés. Sauf que voilà, même en 2020, il n’est pas chose aisée d’être accepté chez les Kémites. Le statut de Kémite semble être réservé à une élite noire, privilégiée et consciente, qui se fait un point d’honneur à être identifiée comme telle…

Bon, revenons à nos cabris : En tant qu’afrodescendante, ayant, moi-même participé à la grande chorale, rongée par la rage, la colère et la haine( voilà, c’est dit !!!), j’ai dû faire le triste et cruel constat que cela n’avait rien permis de changer à ma vie du présent. Rien. Je ne me sentais pas mieux. J’étais la digne descendante de personnes, qui, en dépit de leur grande supériorité numérique, avaient été maintenues en esclavage pendant près de 400 ans. Les boules !!! D’autant que, de l’autre côté, les descendants des esclavagistes semblent n’en avoir véritablement rien à foutre (désolée mais je n’ai pas trouvé une expression plus exacte). D’ailleurs, quand ils se fatiguent de la complainte, ils n’hésitent pas à nous rappeler que nous sommes fort ingrats et exigeants,
autorisés que nous sommes, aujourd’hui, à vivre parmi eux et à profiter des bienfaits de leur civilisation éclairée.

« Seul un sot mesure la profondeur de l’eau avec ses pieds » affirme un proverbe africain.

L’illusion étant de croire, qu’à force de complainte, ils finiront par nous écouter et reconnaître les innombrables et innommables crimes perpétués par leurs Ancêtres : la grande folie des afro descendants !!!

Sérieusement, on en parle du coup de pied dans la ruche ???

Attendre leur reconnaissance ??? Vous êtes sérieux ??? C’est continuer à se mettre en position infantile, continuer à se comporter en victimes qui attendent la reconnaissance de leurs bourreaux. C’est continuer à leur conférer du pouvoir sur ce que nous sommes.

L’être Humain, quand il accède à la Conscience, sait une chose : il a la responsabilité de son existence. Nous avons la responsabilité de nos existences. Allez-vous gentiment attendre que les oppresseurs daignent renoncer à leur pouvoir ? La bonne blague !!!

Nous devons, nous tenir la main, marrer nos reins, et assumer les souffrances de nos Ancêtres, et au travers d’elles, nos souffrances actuelles. Personne ne portera ce lourd fardeau, pour nous. Ce qui est arrivé, est arrivé. Aussi cruel que cela puisse paraître. Rien, ni personne, ne pourra changer les choses. Nous n’avons aucun pouvoir sur le passé. Par contre, si nous le décidons, nous en aurons sur notre présent. L’histoire est un espace d’enseignement. Pas un tombeau.

« Commencer à changer à l’intérieur de vous, ce que vous souhaitez voir changer à l’extérieur » a dit, un jour, le Mahatma Gandhi.

C’est, peut-être, là, le commencement de notre véritable espace d’action et de liberté.

Observer et traquer ce que le passé a laissé de profondément douloureux, honteux et avilissant en nous. Les marques au fer rouge dans nos inconscients.

Travailler à ce que ces marques au fer rouge cessent d’être douloureuses et ne soient plus que des cicatrices témoignant du passé.

Nous inscrire dans des actions individuelles et collectives concrètes. Devenir des acteurs économiques influents.

Nous n’oublierons pas. Jamais nous n’oublierons. L’Humanité entière n’oubliera pas. Ce n’est dans le pouvoir d’aucun être humain d’effacer ce qui a été. Temps et silence sont impuissants face à la persistance de la Mémoire. Se souvenir avec pour seul objectif d’engager un travail de guérison individuel, prémices d’un travail collectif de résilience. Il a fallu que nos Ancêtres soient extraordinairement forts pour que nous soyons ici, en vie. Si nous avons une seule et unique responsabilité, c’est celle de perpétuer le souffle de vie qui nous a été légué.

Alors, les abeilles de la ruche, arrêtez de vous plaindre de ce que les guêpes vous ont fait, rassemblez-vous et œuvrez pour que le miel qui jaillira soit un miel d’une inestimable valeur, d’un goût à nul autre pareil.

Mariâme Damba est pédagogue, térapeute,
professeure de danse et professeure de
Capoeira à L’École de Capoeira Angola Paris.